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Paraissant se presser aux vitrines,
Les badauds encombraient le trottoir
L'infirmier regagna sa cabine
Quand on eut embarqué les brancards

L'ambulance, laissant la cohue,
Les portails, les trottoirs envahis,
Le tumulte nocturne des rues,
Enfonça ses fanaux dans la nuit.

Dans ses feux défilaient les visages,
Et les rues, et les miliciens.
L'infirmière oscillait sur son siège
Un flacon d'ammoniaque à la main.

Il pleuvait. Dans la salle d'attente
Gargouillait un lugubre tuyau,
Cependant qu'une plume indolente
Remplissait le dossier du nouveau.

On le mit à deux pas de l'entrée
(L'hôpital était plein à ras bord).
L'odeur d'iode arrivait par bouffées
Et le vent pénétrait du dehors.

La fenêtre encadrait la pelouse
Du jardin, et du ciel un lambeau.
Sur les salles, le sol et les blouses
S'attardaient les regards du nouveau.

Quand soudain aux questions patientes
De la garde, à son air anxieux,
Il comprit qu'il avait peu de chances
De tirer son épingle du jeu.

Son regard, plein de reconnaissance,
Se tourna vers le mur du jardin,
Que la ville aux lueurs menaçantes
D'incendie illumine de loin.

Il voyait les lueurs de la place
Et baigné par l'éclat de ses feux,
De sa branche noueuse un érable
Au malade adressait ses adieux.

Ô Seigneur, que ton œuvre est parfaite,
Songeait le malade : ces lits
Et ces gens, et ces murs, toute cette
Nuit de mort, cette ville de nuit.

J'ai pris le cachet somnifère
Et pleure en froissant mon mouchoir.
L'émoi qui m'étreint, et mes larmes,
M'empêchent, Seigneur, de te voir.

Il m'est doux dans la faible lumière
Qui effleure mon lit de savoir
Que ma destinée toute entière
N'est qu'un don très précieux de ta part.

Mourant dans ce lit de malade,
Je sens la chaleur de tes mains.
Tu me tiens comme une œuvre et me cèles
Comme bague remise en l'écrin.

Été 1956

Texte d'origine : В больнице

Стояли как перед витриной,
Почти запругив тротуар.
Носилки втолкинули в машину
В кабину вскочил санитар.

И скорая помощь, минуя
Панели, подъезды, зевак,
Сумятицу улиц ночную,
Нырнула огнями во мрак.

Милиция, улицы, лица
Мелькали в свету фонаря.
Покачивалась фельдшерица
Со скланкою насатыря.

Шёл дождь, и в приемном покое
Уныло шумел водосток,
Меж тем как строка за строкою
Марали опросный листок.

Его положили у входа.
Все в корпусе было полно.
Разило парами иода,
И с улицы дуло в окно.

Окно обнимало квадратом
Часть сада и неба клочок.
К палатам, полам и халатам
Присматривался новичок.

Как вдруг из расспросов сиделки,
Покачивавшей головой,
Он понял, что из переделки
Едва ли он выйдёт живой.

Тогда он бзглянул благодарно
В окно, за которым стена
Была точно искрой пожарной
Из города озарена.

Там в зареве рдела застава,
И, в отсвете города, клен
Отвесивал веткой корявой
Больному прощальный поклон.

"О Господу, как совершенны
Дела твои, -думал больной,-
Постели, и люди, и стены,
Ноч смерти и город ночной.

Я принял снотворного дозу
И плачу, платок теребя.
О боже, волнения слезы
Мешают мне видеть тебя.

Мне сладко при свете неярком,
Чуть падающем на кровать,
Себя и свой жребий сознавать.

Кончаясь в больничной постели,
Я чувствую рук твоих жар.
Ты держишь меня, как изделье,
И приячешь, как престень, в футляр"

Лето 1956 г.

В больнице (À l'hôpital) est un poème de Boris Pasternak, écrit en 1956. Il est paru dans le recueil Ma sœur la vie aux éditions Gallimard en 1982 (ISBN 978-2-07-025104-7).Il est composé de treize strophes de quatre vers (sauf la douzième, dans la version originale, qui n'en comporte que trois) rimant en ABAB. Nous pouvons observer que l'auteur parle à la troisième personne jusqu'à la dixième strophe, puis passe ensuite à la première personne du singulier.

Ce poème relate une journée bien particulière, puisque Boris Pasternak y relate le diagnostic de son cancer (Quand soudain aux questions patientes/Как вдруг из расспросов сиделки,
De la garde, à son air anxieux,/Покачивавшей головой,
Il comprit qu'il avait peu de chances/Он понял, что из переделки
De tirer son épingle du jeu/Едва ли он выйдёт живой).

Boris Pasternak est décédé en 1970 des suites d'un cancer du poumon. Il y a quatre ans, j'ai publié un article sur lui.

Pour lire d'autres poèmes de Boris Pasternak (mais pas que...) en version originale, vous pouvez cliquer ici.

Tag(s) : #Poésie
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